Je vous présente –inspirez profondément- Moulay Abdelghani Fassi-Fihri Idrissi Kaitouni, Fassi pur-sang élevé aux plateaux de kaâb ghzal et tagines de pigeon aux petits oignons et amandes. Derrière son nom de famille à rallonge se cache une histoire d’opportunisme et d’argent…
En 1950, pressentant que les Français s’en iraient bientôt, Haj Abdellah Fassi-Fihri, grand notable de la ville de Fès ayant ses entrées dans les différentes administrations et invité de marque des salons huppés de la ville, et Sidi Ahmed Idrissi Kaitouni, magnat des finances et poids lourd du textile, surnommé « L’anguille » pour ses talents de négociateur, décident d’unir leurs familles à travers un mariage, afin d’asseoir leur domination sur le commerce de toute la région le moment venu. L’accord est négocié chez Sidi Ahmed, autour d’une théière, et scellé par une poignée de mains dont la mollesse défie celle des coussins ornant le salon.
Et c’est donc ainsi, au crépuscule d’un Maroc nouveau, que nait cet empire, et accessoirement 9 mois plus tard, notre Moulay Abdelghani, dit Mou-Mou.
Enfant, il apprend à lire, écrire et compter, surtout compter, avec les petits gawris. En parallèle, son père embauche deux tuteurs particuliers. Le premier lui donne une éducation coranique, parce que c’est important. Le deuxième le prépare aux affaires et lui enseigne les règles du protocole, les subtilités du jeu de dames, la science du nœud de cravate ou encore les techniques de pliage de billets pour bien les cacher dans la main.
Adolescent avide de pouvoir, il passe ses journées libres dans les usines familiales pour le plaisir de donner des ordres au béta- …aux employés, ou se rend chez un tailleur juif du Mellah pour commander des costumes élégants. Ses grands-pères, Haj Abdellah et Sidi Ahmed, ne tarissent pas d’éloges à son sujet et l’encouragent à prendre les choses en main dès que possible, pour la gloire de l’Empire.
Adulte, il prend enfin les commandes du conglomérat familial après avoir habilement écarté son père, ce dernier étant de l’avis de tous plus porté sur le vin et les jeux. Les patriarches, partis depuis quelques années déjà, sont immortalisés à travers 2 énormes portraits que Mou-Mou accroche derrière son bureau.
Les années s’enchainent, les enfants grandissent, les comptes en banque grossissent. Et fatidiquement, l’activité finit par stagner. Ayant déjà le contrôle sur l’ensemble de la région, les opportunités de développement de Moulay Abdelghani deviennent de plus en plus limitées. Il faut conquérir de nouveaux territoires. Casablanca. Une évidence aux yeux de Mou-Mou. Et donc, comme ses grands-pères avant lui, il décide de marier son fils, Sidi Othmane Fassi-vous avez la suite plus haut.
Le marier, oui, mais pas à n’importe qui. Il dépêche son 2ème tuteur, devenu consigliere depuis, en mission de reconnaissance dans la région du Grand Casablanca. Le brief est clair, il faut trouver une famille qui permette à l’Empire de s’implanter avec succès dans la ville blanche.
Après 68 jours et 67 nuits, le conseiller revient avec une shortlist détaillée de 5 familles. Après avoir passé quelques nuits blanches à broyer du noir, Mou-Mou prend sa décision. Ce sera les Sraidi. Grands propriétaires terriens disposant d’une importante réserve foncière, ils lui permettront de construire des usines à bas prix aux portes de la ville, en plus de lui ouvrir leur carnet d’adresses bien fourni. Parfait. Enfin, presque. Son petit-fils aura le sang mêlé... Mais en affaires, il faut apprendre à parfois faire des concessions.
Mou-Mou fait parvenir une lettre d’intention au chef des Sraidi. Ce dernier l’invite en retour à passer quelques jours sur ses terres pour faire plus ample connaissance. Mou-Mou saute dans l’une des Mercedes inscrites au nom d’une de ses filiales et se fait conduire chez son futur partenaire.
Moustache saillante, torse bombé et allure fière, Brahim Sraidi est posté sur son cheval, drapé dans une cape en peau de taureau, quand Moulay Abdelghani arrive. La poignée de main est rude, mais pas forcément sincère. Il l’accueille en grande pompe dans l’une de ses plus belles tentes où les attendent un festin et des musiciens. Méchouis, côtelettes de veau, tajines d’abats au citron, poulets farcis, salades aux couleurs multiples, corbeilles de fruits immenses, plateaux de gâteaux avant et après, boissons à volonté, Mou-Mou est accueilli dans la pure tradition Sraidi, empreinte de générosité et d’opulence.
Mais il n’est pas dupe. Il comprend bien le sens véritable de ce geste, ce message sournoisement caché entre les boulettes de kefta et les grappes de raisin. Le chef Sraidi ne parle pas beaucoup, mais en alignant ces dizaines de plats, il fait clairement comprendre à Mou-Mou qu’il n’est pas dans le besoin, loin de là. Mou-Mou s’essuie lentement la bouche et relève la tête vers son hôte. Il réussit à le convaincre que ce n’est pas une histoire d’argent, que son objectif est de marquer son époque et qu’il ne pourra pas le faire sans un vrai partenaire de confiance. Méfiant, le chef Sraidi fronce les sourcils tout en roulant sa moustache entre le pouce et l’index. C’est la terre de ses ancêtres après tout. Moulay Abdelghani insiste et lui promet que dans 50, 100, 200 ans, leurs noms seront dans les livres d’histoire (et non pas ce blog).
Après quelques minutes de silence, Sraidi sort un immense couteau caché sous sa cape. Mou-Mou ne comprend pas. Sraidi se rapproche d’un pas lourd et menaçant. Mou-Mou est figé. Et sans mot dire, Sraidi fait un signe de la tête à son benjamin qui s’exécute, sans mot dire également, probablement une histoire d’héritage génétique. Sraidi prend finalement Mou-Mou dans ses bras et l’embrasse chaleureusement. Son fils revient avec un mouton entre les bras. Mou-Mou comprend, soulagé, que c’est plutôt sur la gorge du mouton que la lame laissera son empreinte.
En quittant les terres des Sraidi, Mou-Mou demande au chauffeur de s’arrêter un instant. Il descend de voiture et prend quelques secondes pour sentir l’air froid lui caresser le visage. Il vient de réaliser un pas de plus vers son Destin. L’Empire est en expansion et il a fallu pour cela tendre la main à des sauvageons mais qu’importe... Aujourd’hui, l’Histoire lui appartient.
Quelques semaines plus tard, le mariage est organisé aux environs de Casablanca. Sraidi est formel, c’est lui qui s’occupe de tout. Sidi Othmane et la mariée sont installés dans leur estrade et les centaines d’invités se relaient pour leur souhaiter du bonheur et déposer des enveloppes à leurs pieds.
La musique, mélangée aux esclaffades des convives, résonne à des kilomètres autour de la tente principale, les musiciens hystériques font monter la température, le vin généreusement distribué par de grandes gourdes en peau de chevreuil commence à faire son effet. Les esprits s’échauffent peu à peu et la fête se transforme progressivement en spectacle grotesque et bruyant.
Pourtant, dans l’œil du cyclone, un homme reste serein. Moulay, Abdelghani, Fassi-Fihri, Idrissi, Kaitouni. Les terrains convoités hier seront siens demain. Après avoir fait de l’Empire le plus gros conglomérat d’entreprises de sa région, il va maintenant s’attaquer à Casablanca, avec la victoire totale et inéluctable comme seule option. Le pauvre est loin de se douter que le Destin va lui faire un croche-pied dans quelques moments.
Pourtant, dans l’œil du cyclone, un homme reste serein. Moulay, Abdelghani, Fassi-Fihri, Idrissi, Kaitouni. Les terrains convoités hier seront siens demain. Après avoir fait de l’Empire le plus gros conglomérat d’entreprises de sa région, il va maintenant s’attaquer à Casablanca, avec la victoire totale et inéluctable comme seule option. Le pauvre est loin de se douter que le Destin va lui faire un croche-pied dans quelques moments.
Les heures passent, le dîner est servi. Les invités sont revigorés et ils investissent à nouveau la piste de danse, débordant de sueur et d’énergie. Ignorant leur position et certainement galvanisés par l’alcool, de nombreux invités s’approchent de la table où siègent Mou-Mou et le chef Sraidi. Mou-Mou leur adresse un sourire dédaigneux. Interagir avec ces vils rustres est inacceptable pour une personne de son rang. La cacophonie que ces gueux appellent musique, mélangée aux odeurs de viande écœurantes est déjà un immense supplice. Qu’on ne vienne pas en plus lui demander de danser.
C’est à ce moment que se produit l’inconcevable. Le fils Sraidi, poussé par les mains invisibles de l’Histoire, tire Mou-Mou de sa chaise pour qu’il se lève et vienne danser. Moulay Abdelghani, dont les capacités physiques ne sont pas la plus grande qualité, est déséquilibré. Le verre de thé qu’il sirotait tranquillement, en attendant que se termine cette pénible escale dans son parcours, tombe à la renverse et le liquide se répand sur sa veste.
Abasourdi et le teint virant au rouge, Mou-Mou refuse d’être ridiculisé. Lui, le gentilhomme dont chaque pas dégage de l'élégance, dont le port altier n'est pas sans rappeler la grâce du cygne, lui, l'homme Choisi, objet de moquerie de cette assemblée de pouilleux ? Jamais de la vie. Personne ne se moque de Moulay Abdelghani Fassi-Fihri Idrissi Kaitouni et certainement pas une poignée de misérables dont la teghmissa va jusqu’à l’annulaire et parfois l’auriculaire pour les pires d’entre eux, alors qu’on sait bien qu’il faut s’arrêter au majeur.
Pour ne pas perdre la face, Mou-Mou frotte vigoureusement sa veste des deux mains, se livrant à une bataille perdue d’avance contre cette ignoble tache. Les invités, enivrés par les chants des cheikhates et les lacrimes des violons, sont un peu perplexes et pensent qu’il s’agit d’une danse de sa région. Le chef Sraidi, dont la finesse d’esprit, certes insoupçonnée, contraste avec l’épaisseur de moustache, comprend ce qui s’est passé et se lève à son tour. Il imite Mou-Mou pour lui éviter cette humiliation et surtout compromettre leur accord. Non pas pour la gloire promise, mais pour éviter tout malentendu mettant le mariage de sa fille en péril. Quel serait son déshonneur si cette union vantée auprès des tribus avoisinantes venait à ne pas être conclue... Les invités, bons joueurs, ne se posent pas de question et font de même, dans l’allégresse totale.
Pour ne pas perdre la face, Mou-Mou frotte vigoureusement sa veste des deux mains, se livrant à une bataille perdue d’avance contre cette ignoble tache. Les invités, enivrés par les chants des cheikhates et les lacrimes des violons, sont un peu perplexes et pensent qu’il s’agit d’une danse de sa région. Le chef Sraidi, dont la finesse d’esprit, certes insoupçonnée, contraste avec l’épaisseur de moustache, comprend ce qui s’est passé et se lève à son tour. Il imite Mou-Mou pour lui éviter cette humiliation et surtout compromettre leur accord. Non pas pour la gloire promise, mais pour éviter tout malentendu mettant le mariage de sa fille en péril. Quel serait son déshonneur si cette union vantée auprès des tribus avoisinantes venait à ne pas être conclue... Les invités, bons joueurs, ne se posent pas de question et font de même, dans l’allégresse totale.
Et voilà, c’est donc comme ça qu’est née la danse du « Frk L’vista ». Moulay Abdelghani voulait marquer l’Histoire et il l’a fait, malgré lui.
Dans la prochaine partie, nous vous révèlerons l'origine des danses du « Au secours je me noie » et « Je fais de la brasse debout », qui ont-elles aussi vu le jour lors de ce mariage assez particulier, grand oublié des manuels d’histoire.
Illustration par @Oumaimagua
Illustration par @Oumaimagua